Que se passe-t-il lorsque dans un pays, le pouvoir en place et l’opposition font une chose et son contraire en même temps ? Que se passe-t-il dans un pays quand l’ancienne puissance coloniale vient s’y vanter de cautionner les pires atrocités, les détournements massifs de fonds publics et la fraude électorale en portrait grandeur nature ? Que se passe-t-il dans un pays quand des prisonniers politiques, libérés après des tractations nauséeuses et des allégeances corrompues, sortent de prison pour plastronner avec leurs geôliers qu’ils couvrent d’éloges dignes du temps des rois de l’antiquité ?

L’Editorial du Professeur Franklin Nyamsi Wa Kamerun

Le spectacle offert par la classe politique ivoirienne ces dernières semaines frise le comble de l’irrationnel. Il règne dans le pays, une ambiance de confusion mentale furieuse. Les citoyens sont désemparés et ne savent plus à quel saint se vouer. Tel un Titanic politique, la Côte d’Ivoire coule vers les bas-fonds de l’insignifiance de la parole publique. Dès lors, dans ce navire collectif en naufrage, il faut d’urgence une boussole. L’observateur et le citoyen avertis ne peuvent  dès lors que décrire l’incroyable en cours, et faire un appel à la raison, afin de sauver la cité de la folie. Cet éditorial est justement consacré à saisir quatre sortes de crises de folie, qui se sont emparées des factions politiques ivoiriennes, comme dans une sorte de contamination réciproque par le délire des abîmes. Cet éditorial veut rappeler aux uns et aux autres, l’axe central de l’émancipation collective dans ce pays.

La France s’avère donc une puissance qui s’auto-discrédite, dont la parole et les dirigeants ne valent pas plus qu’un plat de lentilles. Une puissance qui a sacrifié sa cohérence mondiale sur l’autel de sa haute corruption

Commençons par la puissance coloniale française. Refoulée et déclassée du 5ème rang au 7ème rang des puissances militaires mondiales en cette année 2020, la France macronnienne semble déterminée à s’offrir une compensation psychique par un défoulement sur l’Afrique francophone. Au lieu de faire face au géant allemand qui la surpasse économiquement en Europe, au défi turc en Lybie et en méditerranée, à la suprématie américaine sur l’OTAN, au pouvoir sans cesse immense des oligarchies financières qui ceinturent le pouvoir d’action sociale du gouvernement Castex, Paris a décidé de subir en Occident et de sévir sur les Africains. Le spectacle offert par la diplomatie française en Afrique, depuis lors, est l’un des plus piteux qui soient, comme l’a si bien souligné la députée des hauts de Seine, Frédérique Dumas, démissionnaire[1] du parti présidentiel La République en Marche, dans une lettre historique au président Emmanuel Macron. Citons-la dans un tweet du 15 décembre 2020 :

« J’ai écrit à @EmmanuelMacron pour lui demander de nous éclairer sur les principes qui fondent la dénonciation par la France des violations des droits humains et de l’Etat de droit dans un pays plutôt qu’un autre. Deux poids deux mesures. #Afrique »

Ainsi la puissance coloniale française, qui n’a décidément renoncé à aucun de ses réflexes racistes, colonialistes et despotiques, a été prise la main dans le sac de la schizophrénie politique en pleine Afrique. D’une part, elle proclame à qui veut l’entendre qu’elle est la patrie des droits de l’Homme, le phare de l’universalisme politique moral, de l’autre, elle s’acoquine ouvertement avec les barbares Biya, Déby, Sassou, Alpha Condé, Ouattara, organise et attise la guerre civile centrafricaine, participe à la déstabilisation de la Lybie, pour massacrer les libertés fondamentales, les droits de l’humanité africaine. Tout ceci en échange de contrats léonins et certes juteux pour les oligarques financiers et industriels qui ont porté le jeune Macron à l’Elysée, bien sûr, comme leur mascotte renforcée par un système de rétrocommissions énormes sous toutes les formes. La France s’avère donc une puissance qui s’auto-discrédite, dont la parole et les dirigeants ne valent pas plus qu’un plat de lentilles. Une puissance qui a sacrifié sa cohérence mondiale sur l’autel de sa haute corruption.

Continuons par le régime Ouattara, en Côte d’Ivoire. Un pouvoir fou, par excellence. Au-delà de toute logique. Amnésique et obsédé de la stratégie de la terre brûlée. Construite sur la ruse, le mensonge et la brutalité, la logique politique de Ouattara s’est définitivement dénudée en cette année 2020 en Côte d’Ivoire. Les trois qualificatifs cinglants du leader de GPS, Guillaume Kigbafori Soro sur la grande chaîne américaine CNN, pour résumer la carrière publique du violeur de la constitution ivoirienne Alassane Dramane Ouattara correspondent à une description phénoménologique évidente du sujet clinique concerné : con artist, en anglais, renvoie à l’escroc. Et escroc, Ouattara l’est bel et bien car s’il est entré en politique en Côte d’Ivoire sous le profil de technocrate et bureaucrate bien policé venu du FMI et de la Banque Mondiale, ce qu’il a révélé, c’est un pouvoir clanique, une haute corruption d’Etat et un mépris systématique des lois quand celles-ci ne sont pas incompatibles avec ses intérêts les plus égoïstes. Liar, en anglais, menteur, Ouattara l’est de façon éminente, en réalité un mythomane de haut vol. Il a menti sur son état civil voltaïque, lui qui n’a ni acte de naissance authentiquement ivoirien, ni diplôme ivoirien. Il a menti sur son engagement à fonder l’Etat de droit et la démocratie, et alors qu’il se faisait passer pour le défenseur et symbole des exclus, Ouattara s’est révélé être le plus grand agent de divisions et d’exclusion dans ce pays. Enfin, Ouattara is a culprit, a dit Guillaume Soro. Ce mot en anglais désigne un coupable flagrant, un criminel ambulant, un monstre impuni dont il faut de toute urgence se saisir, pour le juger et le punir conformément aux lois.

Lorsque ce régime impénitent et méchant vient parler de dialogue pour des législatives qu’il veut organiser dans les mêmes conditions, on se rend compte que c’est l’hôpital qui se fout de la charité

En effet, les plus de 200 ivoiriens assassinés en cette année 2020 parce qu’ils exigeaient le respect de l’article 55 de la constitution qui limite les mandats à deux,  ne sauraient être passés par pertes et profits, sauf dans l’esprit brumeux de Ouattara, qui a bâti ses 31 années de carrière politique sur l’assassinat récurrent des populations ivoiriennes. Au point que lorsque le régime qui a refusé l’audit des listes électorales, la réforme de la CEI, la libération de tous les prisonniers politiques, le retour de tous les exilés politiques, la réforme du conseil constitutionnel, le dialogue politique, l’exécution des décisions de la justice internationale, oui lorsque ce régime impénitent et méchant vient parler de dialogue pour des législatives qu’il veut organiser dans les mêmes conditions, on se rend compte que c’est l’hôpital qui se fout de la charité.

Et ce champ politique ivoirien est venu se corser d’autre autre folie en plein midi. Celle d’une opposition qui se renie au nom de calculs intéressés qui ne concernent que le sort de quelques-uns de ses apparatchiks. Depuis le 6 août 2020, tout le monde croyait avoir  compris la logique de résistance choisie par les trois plateformes CDRP, EDS et GPS de l’opposition ivoirienne. La ligne de démarcation et de cohérence était le NON AU 3ème MANDAT, le NON À LA PRESIDENCE À VIE en Côte d’Ivoire. Les longs mois de désobéissance civile d’août à novembre 2020 se sont appuyés sur cette orientation ferme, tenue de main de maître par le doyen d’âge de la classe politique ivoirienne, le Président Aimé Henri Konan Bédié. C’est dans le même esprit que l’initiative du Conseil National de Transition (CNT) pour faire face au vide constitutionnel créé par la violation flagrante de l’article 55 et l’exclusion inacceptable de 40 candidats de l’élection présidentielle, a été courageusement prise. Unie avec le Peuple Ivoirien, l’opposition politique a écouté le message d’ajustement du 9 décembre 2020, délivré par le Président Bédié, avec intérêt et satisfaction, n’attendant plus que la mise en œuvre des marches éclatées pour la revendication du Grand Dialogue National avec une médiation internationale impartiale.

C’est sur ces entrefaites que le 21 décembre 2020,  une partie de l’opposition, notamment précipitée par les manœuvres des directions du FPI et du PDCI-RDA, a tourné casaque en se rendant à une rencontre sans enjeux évidents avec le Premier ministre de Ouattara, le roublard Hamed Bakayoko, qui faisait désormais office de dialogue national. Au grand dam de la plateforme GPS du leader Guillaume Soro et des ivoiriens éberlués, qui n’ont pas fini de comprendre la logique pleine de mystères de ce revirement spectaculaire. On nous demande de faire confiance à l’intelligence infiniment supérieure des vieux dinosaures de la politique ivoirienne. Mais qu’y a-t-il d’autre à comprendre de ce dialogon de ce conciliabulon, cette causette de bistrot dans un coin perdu des bureaux de la Primature ivoirienne avec un Hamed Bakayoko pondant des phrases boursouflées qui ont l’effet de l’opium sur ses auditeurs ? Une montagne qui a vite accouché d’une vilaine petite souris : le pouvoir Ouattara ne recherche que la légitimation à rebours de sa forfaiture du 31 octobre 2020 et n’organisera pas des Législatives pour les perdre.

L’opposition rompue au jeu du cocaïnomane Bakayoko, on le sait, espérait obtenir à court terme le retour du Président Gbagbo, l’apaisement des assoiffés de postes qui au PDCI et au FPI ne veulent pas laisser passer les indemnités confortables des fonctions de députés ou de sénateurs, et au passage, laisser croire au peuple ivoirien sacrifié que ces manœuvres sont le summum de l’intelligence tactique et stratégique. On le sait à présent, il n’y a rien dedans, car Ouattara n’est pas pressé de laisser Laurent Gbagbo rentrer et il ne veut pas dialoguer sur l’ensemble des points énumérés par le puissant discours d’orientation délivré par le Président Bédié au nom de toute l’opposition le 9 décembre 2020. Mieux, Ouattara prévoit de truquer les législatives comme il a truqué la présidentielle, avec les mêmes listes électorales frauduleuses, la même CEI, le même conseil constitutionnel parjure, les mêmes milices de Téné Birahima Ouattara qui demeurent opérationnelles, la même France macronienne qui approuve tout ce cauchemar et ses mêmes coquins de la CEDEAO, de l’UA et de l’ONU pour fermer les yeux.

S’il y a eu coup d’Etat, pourquoi tous les putschistes ne sont-ils pas jugés ? Et s’il n’y a pas eu coup d’Etat, pourquoi tous les accusés ne sont-ils pas libérés ?

Dans la même veine, une autre aile en folie de l’opposition a fait son apparition, dirigée par un certain Mamadou Kanigui Soro. A la limite, ce ne sont plus des opposants, ceux-là, mais des nomades politiques sans consistance morale et intellectuelle. Des trous ambulants. Ce sont les souffrants du syndrome de Stockholm qui consiste pour le prisonnier, le torturé, la victime, à tomber amoureux de son géôlier et bourreau. Et à détester les autres victimes qui continuent à se plaindre de la méchanceté du puissant du jour. Emprisonné avec d’autres députés et militants de GPS le 23 décembre 2019 au motif qu’ils préparaient avec le leader Guillaume Soro un coup d’Etat contre le régime Ouattara, le député Kanigui Soro est sorti de prison avec une nouvelle passion amoureuse pour Ouattara son tortionnaire, y entraînant au passage un philosophe, Mamadou Djibo, qui a choisi de déguiser sa trahison sous le prétexte de combattre le retour des ivoiritaires.

La question logique que pose la libération de Kanigui Soro et tous les nouveaux fans de Ouattara, c’est bien la suivante : que font encore en prison Alain Michel Lobognon, député comme Kanigui, le ministre plénipotentiaire Koné Kamaraté Souleymane, le président du MVCI Félicien Sékongo, les frères de sang du leader Guillaume Soro, Simon et Rigobert Soro, qui ont été arrêtés dans le même cadre de l’accusation de coup d’Etat le 23 décembre 2019 ? S’il y a eu coup d’Etat, pourquoi tous les putschistes ne sont-ils pas jugés ? Et s’il n’y a pas eu coup d’Etat, pourquoi tous les accusés ne sont-ils pas libérés ? Où est la logique du procureur Adou Richard qui a écroué tout ce monde et qui se tait lorsque Ouattara libère sans procès certains supposés coupables et laisse en prison d’autres supposés coupables du même crime de coup d’Etat ? A se demander si Adou Richard, le procuraillon avachi sous Ouattara ne serait pas capable de se constituer lui-même sciemment prisonnier de Ouattara si ce dernier le lui demandait ! Le summum de la pitrerie pseudo-judiciaire.

Comment diantre, le peuple de Côte d’Ivoire peut-il se tirer de toutes ces factions en folie ? Cette question s’impose en conclusion. La mobilisation populaire doit se poursuivre contre le 3ème mandat et la présidence à vie en Côte d’Ivoire. C’est la seule réponse qui vaille contre les incohérences de la France, celles du régime Ouattara et celles de l’opposition bourgeoise. Le combat doit se réorganiser, se poursuivre et se durcir avec les ailes conscientes de l’opposition républicaine, progressiste, démocratique et disciplinée, qui ne s’est pas soumise au chantage de Ouattara, ni à la complaisance de se précipiter sur des strapontins humiliants de députaillons, de sénatorions, brefs de parlementaires godillots du régime illégal et illégitime qui tient la Côte d’Ivoire en otage. Le retour de la raison au centre du jeu politique ivoirien viendra des bases populaires conscientisées, des partis politiques qui n’auront pas trahi leurs engagements publics envers les populations engagées dans la désobéissance civile. Le retour de la raison, c’est le réalignement de tous sur l’axe central du combat contre l’engeance de la Françafrique ouattarienne : non au 3ème mandat ! non à la présidence à vie ! Non aux élections sans le respect des conditions suivantes :

  • –         Libération immédiate de tous les prisonniers politiques de 2011 à 2020
  • –         Retour de tous les exilés politiques de tous les camps
  • –         Poursuites contre les assassins des centaines d’ivoiriens en 2020
  • –         Ouverture d’un dialogue national avec médiation impartiale
  • –         Respect strict de l’article 55 de la constitution par tous
  • –         Audit consensuel des listes électorales
  • –         Réforme de la loi électorale
  • –         Réforme de la constitution et du conseil constitutionnel
  • –         Organisations exemplaires de véritables élections présidentielles et législatives à l’issue de ce processus de dialogue et de transition politique.

Notre mouvement, Générations et Peuples Solidaires, demeure fidèle au peuple ivoirien et ne déviera pas d’un iota de cet axe spirituel, idéologique, moral, républicain et logique de combat en l’année qui s’achève et tout au long de l’année 2021 qui se profile. Non : nous ne nous soumettrons point à Ouattara, nous ne nous soumettrons pas au suivisme moutonnier, nous n’abdiquerons pas nos intelligences aux manigances de castes, nous resterons fidèles et loyaux au peuple de Côte d’Ivoire ! Et c’est ainsi, et ainsi seulement que la raison critique triomphera de la folie qui rampe et sème la confusion dans la terre chérie de Côte d’Ivoire ! Oui, Africaines, Africains, faisons notre cette observation profonde du Professeur Maurice Kamto, président élu du Cameroun, Chef de l’Opposition Camerounaise :

« Je prétends donc que le désert de la pensée qui gagne l’Afrique, singulièrement depuis les indépendances, est la cause essentielle de la déliquescence de ses cultures, de la ruine de ses civilisations, de son enlisement matériel. Plus qu’une urgence d’aide financière, il y a, pour ce continent sinistré urgence de pensée, parce qu’elle seule peut accomplir l’indispensable révolution des esprits et libérer le génie embastillé de nos peuples. »[2]

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