21 ans après, Alpha Condé parle de son arrestation à Piné, en Guinée forestière. Nous étions en décembre 1998 au lendemain de la présidentielle. L’actuel président guinéen qui avait jusque là refusé de se prononcer sur cette triste parenthèse de son parcours politique, nous la raconte dans le livre d’entretiens -revu et augmenté- “Une certaine idée de l’Afrique” avec François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique. Extrait…
(…) Revenons à Décembre 1998. Votre retour à peine célébré, vous n’aviez pas le temps de faire campagne. Vous vous êtes arrêté en Guinée forestière. Qu’y faisiez- vous ?
Voici ce qui s’est passé fin 1998. Mamadou Bâ, Siradiou Diallo et moi avions dit que nous n’irions pas aux élections. Mais lors d’une réunion chez Siradiou pour en discuter, j’ai vu que celui-ci avait déjà déposé sa caution. J’ai dit : « La réunion n’a pas de raison d’être. Siradiou tu as déjà payé ta caution ».
Il m’a répondu « oui, par précaution ». « Dans ce cas-là, ai-je poursuivi, il n’y a plus de raison de se réunir ». Je savais que les élections du 14 décembre 1998 allaient mal se passer. Nous étions convenus de les boycotter et de préparer l’après-élection pour les contester et parvenir par la mobilisation à changer les résultats. Nous étions tombés d’accord. Mais comme Siradiou avait décidé de payer sa caution, j’ai proposé une autre solution. Comme je disposais d’un téléphone satellitaire -à l’époque, il n’y avait pas de GSM-, j’ai dit : « Après les élections, je vais me replier pour pouvoir communiquer avec la communauté internationale pendant que nous sommes encore là ». C’était donc un accord à trois. Je devais me replier vers la Côte d’Ivoire pour pouvoir communiquer. Mon rôle était de mobiliser en Guinée forestière, puis d’alerter la communauté internationale. Je suis parti avec l’accord de Mamadou Bâ et de Siradiou Diallo.
Ce n’était donc en aucun cas une tentative de quitter illégalement le pays ou de fuir, comme le pouvoir l’a dit ?
Mais enfin, comment peut-il dire que je voulais fuir ? Vous savez Sipilou c’était une petite ville. Il y avait un hôtel avec 6 ou 8 chambres. On a dit qu’il y avait 600 mercenaires à ma solde à Sipilou. Comment peut-on avoir 600 mercenaires et passer inaperçu à Sipilou? Ridicule…
Le 16 décembre vous êtes interpellé…
On m’a arrêté à Pinè non loin de Sipilou. C’était en début de soirée, j’avais un thermos à la main et mon garde du corps, Ben Kourouma était parti prendre un café dans un bar. De là on m’emmène à Kissidougou et on me fait venir par avion à Conakry.
Avez-vous été maltraité ?
Non. Le président Conté avait ordonné de me placer en résidence surveillée chez moi. Il faut rendre à César ce qui est à César. Mais quelqu’un est venu lui dire : « Non, non, il y a un complot, on a des preuves contre lui ». Des leaders politiques sont venus lui raconter les mêmes sornettes. Je préfère taire leurs noms, ils se reconnaîtront.
Vous êtes donc conduit au camp Koundara, où vous êtes détenu pendant trois semaines. Et ensuite ?
On m’emmène dans l’une des villas de l’OUA [Organisation de l’Unité Africaine], où j’étais détenu avec un lieutenant. Conté a dit : « Je ne veux pas qu’il lui arrive un malheur qu’on va me mettre sur le dos ». Et il a ordonné au colonel qui dirigeait le camp : « Il va manger ce que tu manges ». Le colonel en question était Seyni Camara, ancien attaché militaire à Paris sous Sékou Touré. A l’époque, nous avions de très bons rapports. Nous prenions le café ensemble mais je ne savais pas qu’il était attaché militaire. Et je n’ai jamais su quel était son rôle. Quand il est venu me voir et se présenter en m’appelant « sökhö » [oncle en soussou], j’ai dit : « quel Seyni? » « Mais nous étions ensemble en France », a-t-il expliqué. Mais plus tard, il a dérapé en racontant que 50 zodiacs français bourrés de mercenaires attendaient en mer, prêts à attaquer la Guinée pour me délivrer. Comment moi, un simple civil pouvais-je acheter 50 zodiacs ? On a échafaudé tout un scénario. C’était du grand n’importe quoi.
C’est alors qu’on vous a transféré à la prison centrale. Pour quelle raison ?
En fait, ils étaient inquiets parce qu’ils pensaient que l’armée m’était favorable et que les militants risquaient de faire appel à elle pour me protéger. Ils avaient peur. Du coup, ils sont venus me chercher à 2 heures du matin. Un lieutenant m’a dit : « On va voir le juge ». « À 2 heures du matin ? Comment ça ? Vous plaisantez ! » me suis-je étonné. Ils avaient pris toutes les mesures, bloqué les rues, etc. Et ils m’ont conduit à la maison d’arrêt. Ils avaient évacué un grand bâtiment où il y avait plus de 300 détenus pour que je me retrouve seul. Toutes les pièces avaient été vidées. Et je me suis retrouvé isolé, enfermé, sans aucun contact avec les autres prisonniers.
C’est le début d’un isolement qui va durer plus de 2 ans…
Oui, ça a duré. Mes avocats, dont mon neveu Christian Sow [futur ministre de la Justice] me disaient : « Alpha, il faut marcher. Toute la journée il faut marcher. » Je ne comprenais pas pourquoi, mais j’ai marché dans la cour. C’est lors de mon procès, quand je suis enfin sorti, que j’ai compris. J’ai vu des premiers qui étaient devenus infirmes, car si vous êtes en prison et que vous ne marchez pas, vous finirez par perdre l’usage de vos jambes.
Vous faites plusieurs grèves de la faim, pour quelles raisons ?
Parce qu’on me refusait tout. Je n’avais ni journaux, ni radio, ni médicaments, rien.
Vous étiez sujet à des crises de paludisme, comment les soignez-vous ?
Le premier médecin qui est venu me voir avait peur. Non pour moi mais pour lui ! Puis le docteur Kandia Barry a pris la relève et venait me visiter deux fois par semaine. C’est lui qui m’a donné des médicaments et qui me suivait. Le docteur Kandia Barry est de la famille de l’Almamy (chef) de Mamou. Il a été exceptionnel.
Très vite, une forte mobilisation s’organise autour de vous, menée à Paris par le professeur Albert Bourgi et son épouse, mais aussi un peu partout en Afrique francophone. En aviez-vous connaissance ?
Oui. Indirectement. Pour Nelson Mandela, ce sont surtout l’occident et les ONG occidentales qui se sont solidarisés. Là, pour la première fois, ce sont les Africains, dans tous les pays africains qui se sont mobilisés. Le premier comité de soutien a été créé au Benin. Puis les comités se sont généralisés partout, en Afrique centrale, dans tous les pays francophones, du Gabon au Sénégal. Quand on a demandé à un ministre sénégalais : “Mais vous êtes de la mouvance présidentielle, comment pouvez-vous soutenir Alpha ?” Il a répondu : “Mais Alpha, c’est notre président de la FEANF !” En fait, c’est le réseau des militants de la FEANF qui a beaucoup joué. Tous les anciens de la FEANF, tous pays confondus, s’étaient levés, indépendamment de leur position politique, qu’ils fussent ministres ou opposants. Ce qui est important, c’est la mobilisation en tant que telle. Par exemple, au Sénégal, ce qui a été frappant, c’est que ce ne sont pas seulement les hommes politiques qui se sont manifestés, mais aussi le petit peuple. Evidemment, Albert Bourgi a joué un très grand rôle en créant le comité international de soutien et je reconnais que Mamadou Bâ a été extrêmement actif parce qu’il a assisté à toutes les réunions qui se sont tenues à l’extérieur pour ma libération. Il s’est vraiment beaucoup investi.
Hors d’Afrique, le président Jacques Chirac, qui avait conditionné sa visite en Guinée à la tenue de mon procès, le ministre socialiste de la Coopération Charles Josselin, à qui Lansana Conté avait dit : ‘’vous m’emmerdez avec cette histoire”, et la secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright m’ont aussi soutenu. Cette solidarité a débordé de l’espace francophone à cause, là aussi, de mon rôle passé à la tête de la FEANF. Il faut savoir que la fédération, dans les années 1970 et 1980, travaillait avec la WASU [West African Student Union], dont le siège était à Londres. Nous collaborions étroitement, ce qui fait que nous étions très liés avec les étudiants anglophones. La FEANF travaillait aussi avec beaucoup de mouvements, antillais, asiatiques, latino-américains. Ce qui fait que nous étions tous très liés. (…)
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