L’heure est à la mobilisation générale du côté des Nations unies. Leur secrétaire général, António Guterres, vient de rendre public un rapport sur la lutte contre le coronavirus. Il revient pour Jeune Afrique sur les priorités identifiées par l’ONU.

Le monde fait face à une crise comme il n’en avait pas connu depuis 1945 et la création de l’Organisation des Nations unies. António Guterres l’a martelé, mardi 31 mars, en dévoilant le rapport qui fait le point sur les mesures à prendre face à la pandémie de Covid-19, tant sur les plans sanitaire qu’économique et social. C’est donc à une mobilisation générale, mais aussi coordonnée et solidaire, que l’ancien Premier ministre portugais appelle.

Sans chercher à polémiquer avec les chefs d’État qui minimisent encore la gravité de la maladie ou préfèrent se retrancher derrière leurs frontières, il insiste avant tout sur le nécessaire soutien aux pays en développement, notamment africains, qui ne pourront financer seuls les mesures nécessaires.

Jeune Afrique : Le rapport que vous présentez aujourd’hui est très complet, mais n’arrive-t-il pas un peu tard ?

António Guterres : Non. Si vous regardez le contenu du rapport, en particulier sur les prises de position politiques, l’essentiel avait déjà été affirmé par mes soins il y a trois semaines, et aussi lors de la préparation du dernier G20.

Le document publié aujourd’hui correspond à un travail en profondeur, impliquant toutes les agences onusiennes et les commissions régionales, c’est une prise de position collective qui va nous permettre d’appuyer effectivement les pays dans leur riposte à la pandémie.

Il contient une réponse économique et sociale, qui vient en plus de l’assistance sanitaire fournie par l’Organisation mondiale de la santé. Ce rapport n’est pas un premier instrument de travail, il met en commun les expériences et consolide ce qui a déjà été fait.

En 2014, le Conseil de sécurité avait déclaré que l’épidémie d’Ebola était une menace internationale. Face au coronavirus, rien de tel. Pourquoi ?

Je ne peux pas répondre, c’est de la responsabilité des États membres du Conseil de sécurité. De notre côté, nous avons lancé des opérations sur le terrain pour faire cesser les crises, afin de mieux combattre le virus. C’est pour cela que j’ai décidé de lancer un appel global au cessez-le-feu, et que tous nos représentants spéciaux dans les différentes zones de conflits travaillent de manière très engagée.

Mais pour l’instant, les conflits en cours ne semblent pas cesser…

C’est exact. En Libye, notamment, nous avons eu des réponses positives des deux parties à notre appel, mais ensuite la situation est devenue pire…

Mais malgré tout, cela a engendré une dynamique positive. Nos rapporteurs spéciaux sur le terrain sont en contact avec les parties en conflit, il y a une mobilisation, y compris dans des pays qui peuvent avoir une influence sur certains belligérants.

Nous avons eu des réponses intéressantes en Colombie, aux Philippines, au Yémen, en Syrie, au Cameroun… Mais bien sûr, entre les déclarations et la réalité il y a souvent une énorme différence, et il ya des provocateurs de tous les côtés.

Nous espérons néanmoins obtenir des cessez-le-feu dans certains endroits. Je ferai un rapport sur le sujet en fin de semaine, en mentionnant les succès mais aussi les échecs. C’est une démarche essentielle.

On observe deux grandes formes de ripostes, qui correspondent à deux systèmes : une riposte « asiatique », qui semble assez efficace, et une riposte « euro-américaine », qui visiblement l’est moins. Quel modèle l’Afrique devrait-elle suivre ?

Malheureusement il n’y a pas que deux modèles, il y en a un grand nombre ! C’est bien le problème.

Pour nous, il est très clair qu’il faut supprimer la transmission du virus par deux types de mesure. D’abord les tests, le dépistage, et bien sûr le traitement des malades et leur isolement. Et ensuite les restrictions de déplacements et les distances entre les personnes.

Naturellement, les pays qui ne se sont pas suffisamment préparés à tester sont obligés de prendre des mesures de confinement plus importantes. L’idéal, Tedros Ghebreyesus l’a dit pour l’OMS, c’est de tester, tester, tester… Moins vous avez la possibilité de le faire plus vous devez opter pour des mesures plus aveugles.

On a tout de même l’impression, à vous écouter, que ce sont des pays asiatiques qui ont appliqué la meilleure méthode…

La Corée du Sud et Singapour ont mis un accent important sur les tests, c’est vrai. De ce point de vue ce sont sans doute les modèles les plus intéressants.

Le président béninois Patrice Talon estime que le confinement est irréaliste en Afrique, où beaucoup de gens sont dans une extrême fragilité économique et doivent travailler chaque jour pour survivre. Qu’en pensez-vous ?

Ce qui est évident, c’est qu’un gros effort financier est nécessaire pour soutenir les gens qui pourraient perdre leur emploi ou qui vivent du secteur informel.

C’est pour cela que nous appelons à la mobilisation de sommes qui représentent 10 % du PIB de chaque pays. Les pays développés sont en mesure de le faire eux-mêmes, mais il faut trouver des ressources pour que les pays en développement puissent faire de même, et cela représente un montant que nous avons estimé à 3 000 milliards de dollars.

Cela implique notamment d’augmenter significativement la capacité d’action du Fonds monétaire internationale, de coordonner des swaps (des échanges, ndlr) entre banques centrales, tout cela pour amener plus de liquidités dans les pays émergents.

Vous parlez aussi d’un moratoire sur la dette des pays pauvres ou, au moins, sur le paiement des intérêts : peut-on y croire ?

La Banque mondiale en a parlé à son Conseil des administrateurs, les ministres africains en ont beaucoup discuté aujourd’hui même (le 31 mars, ndlr).

C’est de toute façon nécessaire : cette crise n’est pas financière, elle est humaine. Il faut maintenir la liquidité des systèmes financiers, il faut que l’argent continue à arriver pour maintenir à flots les foyers et les petites entreprises des pays en développement.

Vous insistez sur l’idée de sortir de cette crise pour « aller vers un monde meilleur et plus solidaire ». Y croyez-vous vraiment ?

Nous allons passer par une dépression, c’est évident, mais ensuite on va relancer l’économie. La question c’est : est-ce qu’on relance les économies telles qu’elles étaient avant, ou est-ce que l’on en profite pour en corriger les aspects qui ont rendu notre monde plus vulnérable ? Il faut une économie plus durable, plus inclusive. Les réponses seront solidaires ou elles seront inefficaces.

JeuneAfrique

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